Vous devez lire Winter de Rick Bass, si vous voulez
comprendre ce que nous sommes allés faire dans un coin aussi perdu que Libby.
Rick
Bass est un excellent écrivain qui aime beaucoup les coins perdus. En
1987, il partit du Mississippi vers l'Ouest chercher le « refuge de l'artiste »,
un coin tranquille où il pourrait écrire et sa femme peindre.
Après avoir fouillé le Nouveau-Mexique, l'Arizona, le Colorado,
l'Utah, le Wyoming et l'Idaho, ils trouvèrent quelque chose dans une
agence immobilière à Whitefish.
«
Nous
avons quitté Whitefish et conduit tout l'après-midi, sans rencontrer
personne au cours de la dernière heure et demie, à l'exception
d'orignaux, de cerfs, de wapitis et de tétras, qui traversaient la
route en pagaille. Des marguerites blanches bordaient la chaussée en
terre battue à une seule voie.
Lancés
vers le nord-ouest, nous avons continué sans apercevoir la moindre
trace humaine - nous enfonçant de plus en plus profondément dans la
dernière et la plus vaste tache verte et vierge de notre carte routière
- et nous avons commencé à nous désoler de ne pas avoir d'argent.
Nous
avons continué à avancer, à grimper, et puis nous sommes redescendus du
sommet, plongeant dans la petite vallée bleue. Il n'y avait rien
d'autre qu'un magasin général et un saloon, bâtis chacun d'un côté de
la route, et un fleuve lent et méandreux qui serpentait à travers la
vallée (une maman orignal et son petit étaient debout dans l'eau,
derrière le magasin) - et toujours aucun signe de vie, personne en vue.
C'est
à croire que tous les habitants ont été massacrés, me suis-je dit, tout
content. Nous avons su aussitôt que c'était là que nous voulions vivre,
là que nous avions toujours voulu vivre. »
Et le guide touristique
américain Frommer's Montana and Wyoming enfonce le clou.
«
Reculée
et, pour le moins, sauvage la vallée de Yaak nichée dans l'extrême
nord-ouest du Montana abrite les seules forêts pluviales de l'État.
Elle est extraordinairement belle à certains endroits et dévastée par
les coupes à blanc-étoc dans d'autres. Ce n'est certainement pas une
destination touristique qui conviendra à tout le monde. Je ne peux
recommander aucun des rares hébergements ou restaurants de la vallée -
sauf si vous voulez absolument boire une bière ou écouter les
commérages d'un survivaliste anti-gouvernement armé jusqu'aux dents -
mais je peux recommander certains de ses terrains de camping et
sentiers de randonnée. Prenez garde, cependant. Non seulement c'est le
pays des loups et des grizzlis, mais beaucoup de sentiers sont utilisés
par les trafiquants de drogue qui entrent aux États-Unis en provenance
du Canada. Et faites vos courses à Whitefish ou Kalispell avant de
partir, le shopping dans ces régions laisse quelque peu à désirer. »
Dans
l'idée de marcher dans les traces de Rick Bass, nous avons quitté East
Glacier Park et retraversé une dernière fois la Going-to-the-Sun Road.
On en a profité pour jeter un oeil au Lake McDonald Lodge, au cas où
nous reviendrions.
Moins somptueux que East Glacier Park mais quand même beaucoup d'allure.
Nous avons traversé rapidement Whitefish et continué vers le nord
jusqu'à Eureka où nous n'avons rien trouvé. Nous avons poussé jusqu'à la
frontière canadienne, sans la passer, pour « voir ». Nous avons franchi
le lac Koocanusa et nous nous sommes engagés dans la montagne.
Les routes étaient goudronnées, en bon état. Nous avons roulé pendant
quelques heures absolument seuls dans la forêt. Quelques biches se
baladaient sur la route et s'enfuyaient le temps de sortir l'appareil
photo. Les pikas étaient plus craintifs ici que dans les parcs
nationaux où ils sont habitués à être nourris par les nombreux
touristes. On a suivi pendant quelques mètres une demi-douzaine
d'oiseaux que l'on a supposé être des tétras.
Et
nous avons commencé à nous désoler de ne pas avoir fait le plein
avant de partir. Entre East Glacier Park et Libby nous aurons parcouru
430 km, essentiellement de montagne.
Nous avons continué à avancer, à grimper, nous avons plongé dans une
vallée bleue et sommes enfin arrivés à Yaak. D'un coté de la route, se
trouve le Yaak River Mercantile, de l'autre, le fameux Dirty Shame Saloon
et il y a un pont sur la Yaak River.
Le saloon était presque désert. Deux femmes
habillées en treillis qui rentraient d'une partie de pêche
faisaient un billard. Il y a avait des billets de un dollar et des
petites culottes punaisés aux poutres du plafond. Nous avons commandé
deux bières. La patronne, grande gueule très joviale, parlant fort,
avait du mal à nous comprendre et inversement.
On ne savait pas très bien ce qu'était le liquide rouge dans
nos « petits » verres de une pinte, sauf que ça chauffait rapidement
les oreilles. Renseignements pris il s'agissait de « red beer » :
Budweiser, jus de tomate, Tabasco et un shot de rhum Bacardi.
Quand les deux femmes eurent fini leur partie,
elles sont venues discuter et nous taper dans le dos.
« Yeah, France, Pariss, Tour Eiffel ». Et un fou rire nous a pris.
Qu'est-ce que nous étions bien venus faire ici ?
Nous sommes repartis en longeant la Yaak river qui se paye des Yaak
Falls en route. Nous avons traversé Troy.
A Libby, l'Evergreen Motel, où nous avions réservé,
avait été réquisitionné par une bande de Bikers. Le patron nous avait
logé dans le Sandman Motel, à trois blocks. Une biche et son faon
paissaient sur les pelouses ouvertes des maisons à coté du motel.
Libby est une petite ville où l'on sent que la crise est passée.
Beaucoup de bâtiments commerciaux étaient fermés. Les maisons de bois à
clins typiques des banlieues américaines étaient en piteux état, les
pelouses, sans clôture, toutes mitées.
La principale attraction du coin, ce sont les Kootenai Falls, entre
Libby et Troy. Un « swinging bridge », pont de cordes suspendu, permet
de traverser la Kootenai River pour accéder aux départs de randonnées
dans la forêt (bear spray fortement recommandé).
Le Great Northern Railroad passe par là. Quand
on voit circuler, entre la route et le torrent, ces
immenses convois de containers aux marques
chinoises, on comprend comment l'impérialisme chinois va
faire plier l'impérialisme américain.
Les trains de charbon de la BNSF traversent la
gare de Libby.
Whitefish est une jolie petite ville avec des trottoirs en
planche style western et beaucoup de boutiques pleines de gadgets pour
touristes made in China. Il y a aussi une gare sur le Great Northern
Railroad.
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Photographies prises lors de notre séjour au Montana, août 2014
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