
Pour
souligner l'importance et la difficulté de la traduction, nous vous
présentons les deux traductions de la première page de Red Harvest de
Dashiell Hammett.
Voir aussi l'interview de Jacques
Mailhos.
Voici
d"abord le texte original.
I first heard Personville called Poisonville by a red-haired
mucker named Hickey Dewey in the Big Ship in Butte. He also called his
shirt a shoit. I didn't think anything of what he had done to the
city's name. Later I heard men who could manage their r's give it the
same pronunciation. I still didn't see anything in it but the
meaningless sort of humor that used to make richardsnary the thieves'
word for dictionary. A few years later I went to Personville and
learned better.
Using one of the phones in the station, I called the Herald, asked for
Donald Willsson, and told him I had arrived.
"Will you come out to my house at ten this evening?" He had a
pleasantly crisp voice. "It's 2101 Mountain Boulevard. Take a Broadway
car, get off at Laurel Avenue, and walk two blocks west."
I promised to do that. Then I rode up to the Great Western Hotel,
dumped my bags, and went out to look at the city.
The city wasn't pretty. Most of its builders had gone in for gaudiness.
Maybe they had been successful at first. Since then the smelters whose
brick stacks stuck up tall against a gloomy mountain to the south had
yellow-smoked everything into uniform dinginess. The result was an ugly
city of forty thousand people, set in an ugly notch between two ugly
mountains that had been all dirtied up by mining. Spread over this was
a grimy sky that looked as if it had come out of the smelters'
stacks.
Voici la
traduction de P. J. Herr et Henri Robillot (1950) telle qu'elle a été
publiée par Gallimard dans la collection Série Noire. Mon exemplaire de
la collection Carré Noir
date de 1981.
Le Big Ship à Butte est
incompréhensible en français. C'est pourquoi le traducteur est obligé
d'inventer la grande salle
pour que l'on puisse imaginer qu'il s'agit d'un hôtel.
Je ne crois pas qu'en 1950 les Français savaient ce qu'était un
T-shirt. Pour ma part j'ai vu les premiers portés vers 1962. Il n'y
avait alors que 4 modèles :
- t-shirt bleu marine avec rose des vents blanche,
- t-shirt bleu marine avec voilier blanc,
- t-shirt blanc avec rose des vents bleu marine,
- t-shirt blanc avec voilier bleu marine.
Il est dommage que la répétition ugly
city, ugly notch, ugly mountain ait disparu.
On peut imaginer que ce traducteur avait des consignes de nombre de
mots pour respecter le format de la collection.
La
première fois que j'entendis Personville appelée Poisonville,
c'était par un rouquin prétentiard nommé Hickey Dewey dans la grande
salle du Big Ship, à Butte. Mais comme il prononçait les
« r » comme les « i », je n'avais pas fait
attention à sa manière de déformer le mot. Plus tard je devais entendre
des hommes capables de ne pas escamoter les « r » lui faire
subir la même déformation. Je m'étais contenté d'y voir ce genre
d'humour facile par lequel la pègre transforme dictionary en
richardsnary*. Ma visite à Personville me démontra mon erreur. Je
m'enfermai dans I'une des cabines téléphoniques de la gare, appelai le
Herald et demandai Donald Willsson pour lui annoncer mon arrivée.
-
Voulez-vous venir chez moi à dix heures, ce soir ? dit-il d'une voix
nette et bien timbrée. 2101, Mountain Boulevard. Prenez le tram de
Broadway et descendez à Laurel Avenue, c'est à deux rues de là.
Je lui
promis puis je me fis conduire en taxi jusqu'au Great Western
Hotel et, après y avoir déposé mes bagages, je partis faire un tour en
ville.
.Le
patelin n'était pas joli. La majorité des propriétaires devaient
aimer le genre tape-à-l'oeil. L'effet avait peut-être réussi au début.
Mais, depuis, la fumée jaune des fonderies, dont les cheminées de
brique s'élevaient au sud devant une morne colline, avait tout revêtu
d'une teinte uniforme et sinistre.
Par
là-dessus s'étalait un ciel gras qu'on aurait dit également vomi
par les chemineés des usines.
*. Dick :
diminutif de Richard.
Voici la
nouvelle traduction de 2009 établie par Natalie Beugnat et Pierre
Bondil publiée par Gallimard dans la collection Série Noire.
J'ai d'abord entendu Personville prononcé Poisonville au
bar
du Big
Ship à Butte. C'était par un rouquin nommé Hickey Dewey, ouvrier
chargeur à la mine. Il disait aussi T-shoit au lieu de T-shirt. Je n'ai
rien pensé alors de ce qu'il avait fait subir au nom de la ville. Plus
tard, j'ai entendu des hommes qui savaient articuler leurs
« r » utiliser la même appellation. Je n'y voyais toujours
rien de plus que cet humour dépourvu de sens qui fait dire aux voleurs
Rick Sionaire à la place de dictionnaire. Quelques années plus tard, je
suis allé à Personville et j'ai compris.
D'une des cabines de la gare, j'appelai le Herald, je demandai Donald
Willsson et lui signalai mon arrivée.
« Vous voulez bien venir chez moi ce soir, à dix heures ? »
Il avait une voix claire et agréable. « C’est au 2101 Mountain
Boulevard. Prenez le tram sur Broadway, descendez à Laurel Avenue,
c'est deux rues plus loin vers l'ouest. »
Je promis de suivre ses indications. Je me rendis au Great Western
Hotel, y déposai mes bagages et ressortis pour examiner les lieux.
La ville n'était pas jolie. Ses bâtisseurs, pour la plupart, avaient
choisi le tape-à-l’œil. Peut-être avec un certain succès au début. Le
temps passant, les hauts fourneaux, dont les cheminées de brique se
dressaient au sud, devant une montagne morne, avaient tout rendu
uniformément crasseux en le recouvrant d'une suie jaunâtre. Le résultat
était une ville laide de quarante mille habitants, nichée dans une
gorge laide, entre deux montagnes laides entièrement souillées par
l'exploitation de la mine. Tendu au-dessus de la ville, un ciel
brouillé semblait monter des hauts fourneaux.
Avec le bar du Big Ship à Butte on
comprend clairement qu'il s'agit d'un hôtel.
Le T-shirt réapparait.
Le jeu de mot intraduisible richardsnary
est toujours aussi mal traduit.
Si on cherche mucker sur
Internet, on peut trouver ça :

La
traduction ouvrier chargeur de la
mine est à mon sens plus précise que la traduction
précédente (rouquin prétentiard)
mais plus lourde.
En anglais, mucker est proche d'autres mots à connotation négative, ce qui peut justifier la traduction rouquin prétentiard :
mugger : voleur à main armée
smuggler : contrebandier
mocker : moqueur
muck : boue
fucker : connard
sucker : pigeon
La répétition ugly
city, ugly notch, ugly mountain est enfin
traduite.
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Les
écrivains du Montana - mis
à jour le 17/03/14
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